Cher(e)s rebelles nocturnes. Une fois n’est pas coutume, nous allons aborder un sujet délicat et trop peu médiatisé, sur un ton plus sérieux que d’habitude, car, au sein de Sleep Hackademy, nous avons pris le parti d’exposer au grand jour un phénomène particulier : la sexsomnie.
Alors oui, effectivement, on sait que le préfixe « sex » va vous interpeler. Et pour être tout à fait honnête, c’est bien ce qu’on espère, tant ce trouble du sommeil qu’est la sexsomnie mérite toute votre attention pour mieux percevoir le désarroi, la stupéfaction, l’incompréhension et même la souffrance que peut induire cette parasomnie pas comme les autres. D’ailleurs, peut-on vraiment considérer la sexsomnie comme un simple trouble du sommeil ? Comment se manifeste-t-elle ? Que peut-on faire contre la sexsomnie ?
Si vous ne connaissez pas ou peu ce trouble sexuel du sommeil, et afin de mieux prendre conscience ce qu’il peut impliquer comme blessures morales et physiques, l’équipe de Sleep Hackademy vous propose un petit focus sur la sexsomnie, une parasomnie de bien mauvaise compagnie.
Qu’est-ce que la sexomnie ?
La sexsomnie (ou sexomnie) est un trouble du sommeil particulier, répertorié dans la famille des parasomnies (« troubles autour du sommeil »). Cette parasomnie, comme son nom l’indique, revêt un caractère sexuel puisque la personne qui en est victime présente un comportement sexuel involontaire, allant de la simple ébauche jusqu’à l’accomplissement d’actes sexuels… tout en dormant ! Si les hommes ont la réputation peu flatteuse de tomber dans les bras de Morphée juste après l'acte d'amour, ce sont également eux qui sont majoritairement concernés par la sexsomnie, puisqu'ils représentent plus de 70 %1 des "sexsomniaques". Une première étude d'envergure2 a été menée en 2010 par le Pr. Sharon Chung, chercheuse au Laboratoire de recherche sur le sommeil à l'Université "Health Network" de Toronto au Canada, afin de vraiment mettre en lumière le prévalence et la fréquence de ce trouble sexuel du sommeil, jusque-là relativement peu étudié. Ainsi, cette étude effectuée sur 832 patients d'une clinique du sommeil a montré que :
- 7,6 % des patients souffraient de sexsomnie
- la sexsomnie concernerait 11 % des hommes
- ce trouble du sommeil ne concernerait que 4 % des femmes
Bien entendu, ces chiffres sont à relativiser, car issus d'une étude au sein d'une clinique du sommeil, pour des personnes présentant déjà certains troubles du sommeil. Ils pourraient être revus à la baisse sur une population plus globale.
Un somnambulisme sexuel
Le sexsomniaque dort. Il est inconscient. Cependant, son désir sexuel est bien réel. Ainsi, si elle est comparable au somnambulisme de par son caractère involontaire et inconscient au cours de la réalisation de ces actes sexuels, la sexsomnie se limite strictement au sexe, qu'il soit physique ou verbal. Généralement, pas ou peu de déplacements hors du lit ou de la chambres y sont associés. Le comportement des personnes victimes d'une crise de sexsomnie peut se caractériser ainsi :
- l'individu sexsomniaque peut avoir un comportement sexuel solitaire : exhibitionnisme, masturbation, catathrénie (gémissements ou vocalisations sexuelles)
- le (ou la) sexsomniaque adopte un comportement sexuel vis à vis de sa/son partenaire (ou de toute personne dormant près de lui), et/ou peut recourir à un language un peu plus fleuri qu'à l'accoutumée
- dans de plus rares cas, la personne victime de sexsomnie peut adopter un comportement sexuel involontairement agressif vis à vis de sa ou son partenaire, pousser des hurlements et apparaitre comme possédée
Le sexsomniaque ne répond donc pas à un fantasme ou à un désir "réfléchi", mais bien à une pulsion sexuelle totalement inconsciente, conduisant à des paroles, cris et autres actes sexuels physiques peuvant être pratiqués à l'encontre de la personne partageant le lit du sexsomniaque. Et c'est bien de cette absence de consentement et de désir mutuel que peuvent découler des drames humains.
Le ou la conjoint(e) est de fait la personne la mieux placée pour pouvoir alerter son partenaire sur l'apparition des symptômes de la sexsomnie (comportements sexuels somme toute assez évidents à percevoir). Le sexsomniaque, lui, ne garde aucun souvenir de ces épisodes. En cela, cette expérience peut se révéler bien térrifiante pour ce dernier également, d'autant plus si son comportement sexuel a pu être aggressif ou choquant pour son conjoint ou sa conjointe. Manifester et imposer un comportement sexuel, qu'il soit aggressif ou non, revêt le caractère d'un viol physique, et peut-être même davantage celui d'un viol psychologique, ce qui est d'autant plus terrible, car il est subi par une personne proche ou aimée. Comme vous pouvez bien l'imaginer, cette expérience est traumatisante pour toutes les personnes impliquées qui, au final, sont toutes deux victimes de la sexsomnie.
Ainsi, ce trouble sexuel du sommeil n'est pas du tout anodin, et, à l'instar du somnambulisme, son association avec d'autres pathologies est assez fréquente. Est-il possible de prévenir une pathologie inconsciente telle que la sexsomnie ? Nous disposons de quelques éléments de réponse.
Quelles sont les causes de la sexsomnie ?
Les scientifiques ont pu établir, au travers de diverses études3, que la sexsomnie est très souvent associée à d'autres troubles du sommeil tels que :
- somnambulisme
- éveils confusionnels
- apnées du sommeil
- syndrome des jambes sans repos
D'autre part, les causes de la sexsomnie sont relativement bien identifiées par les scientifiques dans diverses recherches4. En réalité, les origines de la sexsomnies sont les mêmes que pour l'ensemble des parasomnies, à savoir :
- le manque de sommeil
- le stress
- un état dépressif
- la consommation d'alcool ou de produits stupéfiants
- avoir un sommeil fragmenté
Attention donc à ces facteurs pour les personnes sujettes à certaines parasomnies ou à d'autres troubles du sommeil. Il est clairement établi que le manque de sommeil, le stress, et, dans une moindre mesure, la consommation d'alcool ou de stupéfiants, sont des facteurs potentiellement déclencheurs ou aggravants pour des parasomnies comme la sexsomnie.
Un trouble sexuel méconnu et tabou qui n'est pas sans conséquences
Comment peut-on se sentir après avoir été victime d'un épisode de sexsomnie ? Pas évident de répondre à cette question si on n'a pas vécu cette délicate et dérangeante situation. Toutefois, on peut imaginer les sentiments de souffrance et d'incompréhension ressentis par les victimes de l'acte sexuel de cette pathologie, de même que le sentiment de honte ou les remords éprouvés par les sexsomniaques. Le témoignage5 d'un homme marié, victime de crises de sexsomnie "légères", montre bien la globalité du problème liée à ce trouble sexuel nocturne :
- Un sentiment de honte : "Mon état d’esprit à ce moment était un mélange de peur et de honte. Petit à petit, le fait de prendre conscience de ce que c’était m’a aidé à aller mieux"
- La peur de dormir près de quelqu'un : "Je me suis tout de même fixé des règles pour éviter tout risque : ne dormir avec personne d’autre que ma femme, pas même mon fils."
- La peur de faire du mal à ceux qu'on aime : "J’avais peur de lui faire du mal sans le vouloir, mais elle m’a rassuré, parce qu’au final j’ai la chance que ma sexsomnie soit assez légère."
- Le côté socialement "tabou" et l'incompréhension des autres : "Au début, j’avais honte d’en parler, et puis petit à petit j’ai commencé à le faire, le glissant dans les conversations lorsque ça s’y prêtait. Ça m’a permis de me débarrasser de la honte, mais la plupart du temps ça n’a pas été pris au sérieux."
On le voit bien au regard de ce témoignage, le sentiment de peur prédomine, la peur de faire du mal à ses proches (homme, femme ou enfant), voire même la peur d'aggresser sexuellement une personne étrangère alors même que l'on dort. Et dans ce dernier cas, se pose un problème juridique, encore plus pernicieux : quid des violences sexuelles justifiées par une "pathologie sexsomniaque" ? Car oui, aussi déroutant et invraissemblable que cela puisse paraitre, des affaires judiciaires liées à des cas de viols ont donné lieu à une défense justifiant l'inconscience du violeur par le fait qu'il était victime de sexsomnie. Est-ce juridiquement et scientifiquement envisageable de considérer une telle pathologie afin de tenter d'expliquer un acte de violence sexuelle ?
Loin de nous l'idée de juger la validité de cette explication, il s'agit plutôt ici de bien prendre la mesure de ce que ce "simple" trouble du sommeil peut impliquer dans ses cas les plus extrêmes, que cela soit en termes de conséquences morales, physiques, sociales, voire même judiciaires. À propos de ces dernières, il existe d'ailleurs des exemples de décisions judiciaires allant dans le sens de l'acceptation de la sexsomnie en tant que circonstance atténuante pouvant "justifier" une aggression sexuelle, et donc innocenter l'individu ainsi considéré comme un sexsomniaque inconscient de ses actes. C'est notamment le cas au Canada6, pays où la sexsomnie est "une défense reconnue". À l'inverse, on trouve également des cas où le tribunal n'a pas reconnu la sexsomnie comme pouvant disculper l'auteur de violences sexuelles, considérant que l'aggresseur utilisait consciencieusement cette pathologie afin de se faire passer pour une victime de ses pulsions. Cela étant, il serait judicieux de garder à l'esprit que le sexsomniaque, le vrai (pas l'imposteur !), n'est pas un violeur au sens strict du terme, puisqu'il n'est pas conscient de ses actes : c'est une personne ayant besoin d'aide et d'écoute, victime elle aussi de ce trouble sexuel.
La sexsomnie est une pathologie reconnue qui va bien au delà du simple trouble du sommeil, et ses répercussions sur la vie des personnes qui en sont victimes peuvent être traumatisantes à tout point de vue, d'autant plus qu'un certain tabou social entoure cette pathologie sexuelle du sommeil. Heureusement, l'ouverture de la parole commence à poindre, et l'identification de cette parasomnie ainsi que la connaissance de ses causes permettent de pouvoir en diminuer la portée. En limitant la consommation d'alcool et de stupéfiants, ainsi qu'en essayant de gérer son stress (grâce à la cohérence cardiaque ou à Dodow par exemple) et en évitant le manque de sommeil, les crises de sexsomnie ont tendance a être beaucoup moins fréquentes. De plus, le traitement des parasomnies associées à la sexsomnie7, comme l'apnée du sommeil, permet de prévenir l'apparition de crises.
Enfin, des traitements à base de thérapies comportementales et cognitives ("TCC") ont démontré une réelle efficacité dans des centres de traitement du sommeil prenant en charge des pathologies telles que la narcolepsie, l'apnée obscursive du sommeil ou encore l'hypersomnie. La prise d'antidépresseurs, en dernier recours, peut également être envisagée (avec des risques d'effets secondaires, attention).
Pour illustrer un propos, les images sont souvent parlantes. Ainsi, en 2014, sortait le court-métrage "Sexomnia", petit film réalisé par Paul Minor. Le pitch est tout aussi simple qu'évocateur de ce que peut représenter la sexsomnie : suite à une nuit de somnambulisme sexuel, une jeune femme se réveille le lendemain, nue et dans endroit inconnu, sans parvenir à se souvenir de ce qu’elle a fait. Ce court-métrage, bien que romancé et mélangeant somnambulisme et sexsomnie, rend toutefois compte de ce que ce déroutant et parfois dangereux trouble sexuel du sommeil peut avoir comme conséquences personnelles et sociales, tout en ayant au moins le mérite de mettre en lumière cette parasomnie de (très) mauvaise compagnie.
Si un extrait vous tente, c'est juste ici
Sources :
[1] Sexsomnia: A Specialized Non-REM Parasomnia ?, Anne-Laure Dubessy, Smaranda Leu-Semenescu et al, "Sleep", février 2017 [2] Study Finds that Sexsomnia is Common in Sleep Center Patients, site "American Academy of Sleep Medicine", juin 2010 [3] Sexsomnia: parasomnia associated with sexual behaviour during sleep, H. Ariño, A. Iranzo et al, free article "Neurologia", avril 2014 [4] Sexsomnia: Abnormal sexual behavior during sleep, Monica L. Andersena, Dalva Poyaresa et al, "Brain Research Reviews", 2007 [5] La sexsomnie (somnambulisme sexuel): mon trouble méconnu, site "MadmoiZelle", octobre 2019 [6] La cour rejette la défense de « sexsomnie » d'un accusé et l'inculpe d'agression sexuelle, site "Ici-Radio-Canada", 2018 [7] Sleep-Related Abnormal Sexual Behaviors (Sexsomnia) Successfully Treated With a Mandibular Advancement Device: A Case Report, Imran S. Khawaja, Thomas D. Hurwitz et al, "Journal of Clinical Sleep Medicine", avril 2017